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Du « ni-ni » au « ou-ou »

« Il nous faut accepter le fait que la société capitaliste actuelle doit être remplacée par ce que j’appelle la « société écologique », une société qui implique les changements sociaux radicaux indispensables pour éliminer les abus perpétrés contre l’environnement ».

M. Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale ?

Lorsque Les Verts ont décidé en 1994 d’ancrer leur conception de l’écologie politique à gauche dans le paysage politique traditionnel, ils ont ainsi symboliquement marqué l’aspect social de l’écologie politique. En effet, si ce qui fait l’originalité des Verts dans le paysage politique est la remise en cause du productivisme qui est effectivement prôné et défendu aussi bien à gauche qu’à droite (ce qui motivait entre autres la démarche du « ni-ni » qui avait prévalu jusque là), force est de constater par exemple que ce sont les populations les plus socialement faibles et précaires qui sont le plus fortement et dangereusement touchées par les problèmes d’environnement. La déduction faite alors par les Verts a été d’assumer que des alliances étaient possibles à gauche sur la base de la convergence des questions sociales, mais que leur projet n’était pas compatible avec le capitalisme et le libéralisme économique.

On assiste récemment à un glissement sémantique du « ni-ni » qui recompose pour certains le schéma des alliances politiques. Plusieurs causes à cette nouvelle situation : on constate tout d’abord une appropriation de la question écologique ou plutôt environnementale aussi bien sur la gauche que sur la droite. Cette appropriation, si elle se limite bien souvent à une approche purement environnementaliste sans remise en cause du projet politique global, retire dans les faits la visibilité du projet Vert, sans en diminuer pour autant la pertinence, mais en en atténuant toutefois fortement le « besoin de Vert » dans l’électorat (à quoi servent Les Verts si tout le monde installe des énergies renouvelables dans les nouveaux développements urbains, si tout le monde pratique la collecte sélective… ?). Une partie d’entre les militants Verts en tirent des conclusions particulièrement négatives quant à leurs futurs succès électoraux, alors même qu’ils sentent que la situation n’a jamais été aussi bien disposée à l’égard de leurs projets. Quoi de plus rageant que de voir s’échapper ce pour quoi on a milité pendant des années ?

C’est alors qu’on assiste non pas au retour du « ni-ni », mais à un déplacement, un glissement du « ni-ni » vers le « ou-ou ». Ce « ou-ou » est motivé, de façon plus ou moins convaincue en deux temps. Le premier temps consiste à retourner l’argument qui fondait le « ni-ni » : si la gauche et la droite sont productivistes, alors, les Verts sont aussi éloignés des uns que des autres, dans ce cas, pourquoi privilégier un côté de l’échiquier plutôt qu’un autre ? Pourquoi ne pas traiter avec la gauche ou avec la droite, selon ce qui est proposé ? Le second temps consiste à invoquer « l’urgence écologique » : la situation est tellement désespérée qu’on ne peut plus attendre. Il faut agir maintenant et agir maintenant, ça signifie ne pas se figer sur un schéma d’alliance, mais saisir le plus favorable, celui qui permettra d’« agir » dans les meilleurs délais. C’est même l’argument ultime qui permet de privilégier les négociations avec le vainqueur potentiel, qu’il soit de gauche ou de droite.

Cette démarche fait bien sûr fi de la dimension sociale du projet d’écologie politique défendu par les Verts. Ce glissement sémantique n’est pas encore majoritairement installé parmi les Verts, et il reste encore le fait d’options individuelles, mais on sent qu’il fait doucement son chemin. Ces démarches individuelles sont encore pour le moment sanctionnées pour la plupart. La question est cependant : le « ou-ou » deviendra-t-il une stratégie revendiquée à l’intérieur des Verts par des groupes locaux, des régions, voire au national ?

Certains militants Verts ont d’une certaine façon franchi le pas en s’engageant dans le Modem, y rejoignant CAP21. Cette tactique qui dissout la parole écolo dans un parti « généraliste centriste » est en train de montrer toutes ses limites pour ne pas dire son échec. Alors que la stratégie du « ou-ou » sous la bannière des Verts permettrait à la fois de cultiver l’originalité d’une parole écologiste reconnue (la marque « Les Verts » !!), tout en lui permettant de se raccrocher, avec un projet écolo « clé en main », au parti ou à la coalition les plus électoralement attractifs au gré des échéances, voire même en maintenant son autonomie pour les élections qui leur sont traditionnellement favorables. Cette tendance ne paraîtrait pas aussi crédible et tentante aux yeux de certains si la gauche autour du PS ne dérivait pas inexorablement vers le libéralisme (de plus en plus ouvertement revendiqué et assumé par ses dirigeants), rendant la divergence entre gauche et droite peu perceptible et renforçant ainsi le sentiment d’équivalence entre les deux.

Face à l’émergence du « ou-ou », qui, même si il pouvait s’avérer électoralement payant à court terme, plombera définitivement le projet politique écologiste, l’alternative consiste à se tourner vers les organisations et les mouvements socialement radicaux et antilibéraux chez qui la conscience de la convergence entre productivisme et casse sociale émerge de plus en plus clairement. L’objectif est de construire et de proposer un projet progressiste comme devrait le faire la gauche, c’est-à-dire un projet d’écologie sociale. Dans ce contexte, on peut espérer que l’initiative lancée par Politis est une porte ouverte qu’il ne faut pas hésiter à franchir.

Laurent Moccozet
 

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