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Faut-il changer l’école ?
Il est fréquent et récurrent que l’on se pose la question « Faut-il changer l’école ? ». Mais présentée sous cette forme, la question de l’école donne souvent lieu à des débats sans fin. Il ne s’agit pas ici de dire que cette problématique est sans intérêt mais plutôt d’engager la réflexion sur un registre moins ouvert mais peut-être plus porteur de propositions pour l’avenir : Pourquoi faudrait-il changer l’école ?
Voilà une question que nos adversaires politiques ne se posent plus depuis longtemps. Ils ont, dans les années 90, trouvé la réponse qui les guide aujourd’hui dans les réformes qu’ils nous imposent. La conférence de Lisbonne en 1999 réunissait en effet 29 Ministres de l’Education, qui se sont emparé de la question et qui sous couvert d’harmonisation ont ouvert un boulevard à l’orientation économiste de l’éducation. L’éducation et la recherche, que l’on pensait soustraits jusque là à la logique économique du capitalisme, devaient pleinement intégrer cette logique pour réussir la globalisation économique et financière. Le système éducatif n’étant pas adapté à ces nouvelles formes de la société néolibérale, il fallait envisager les réformes qui, à moyen terme, serviraient à garantir cette adaptation du champ éducatif aux lois de la rentabilité et de la compétitivité économique internationale.
Mais me direz-vous alors : « Vous êtes sûre que ce sont les ministres de l’Education qui se sont réunis, vous ne confondriez pas avec les ministres de l’Economie ? » Je comprends votre interrogation car sachez que cette conférence informelle entre ministres de l’Education qui a abouti à la Déclaration de Bologne avait été préparée à l’avance. Par qui ? Des chercheurs en éducation, des citoyens, des enseignants, des parents, par un débat public ? Non, voyez-vous, le principal acteur de cette orientation est le lobby industriel le plus puissant en Europe, l’ERT ou la Table ronde des industriels européens. Ce sont ces plus grandes firmes européennes, comme Total, Carrefour, Elf… qui, par l’intermédiaire de leurs représentants, ont pensé les textes à partir desquels la commission européenne a écrit ses rapports. En 1989, parait un texte intitulé « Education et Compétences en Europe ». Education et formation sont désormais conçues comme des investissements vitaux pour la réussite des futures entreprises. Employabilité, flexibilité, mobilité sont les mots clefs du processus de Bologne comme en témoigne à l’époque le livre blanc de la commission européenne. En 1998, le rapport Reiffers stipule que le temps de l’éducation hors l’école est venu et que l’offre d’éducation doit s’étendre à des prestataires plus innovants que les structures traditionnelles. En France, le rapport Attali en 1998, sur les pôles d’excellence fait émerger les termes de l’économie de la connaissance et de la société de la connaissance qui constitueront le socle de la stratégie de Lisbonne. Economie de la connaissance, cela a le mérite d’être clair : la connaissance devient un savoir-capital, l’école et ses concurrents deviennent des prestataires de services et de compétences, et les universités françaises doivent atteindre la taille critique pour concurrencer à l’image des grosses firmes internationales, les universités du monde entier. Depuis, tous les rapports présentés sous des apparences éducatives comme le rapport Thélot ou Tabarot, ne sont que des recopiages de documents européens, émanant de la sphère économique et maquillés de préoccupations éducatives.
Alors faut-il changer l’école ? Avant de s’installer dans des débats techniques certes très précieux qui permettent aux chercheurs et praticiens de montrer les résultats de leurs expériences respectives, ne faut-il pas d’abord penser le pourquoi du changement et pour quelles politiques éducatives ? Nos adversaires ont déjà répondu à la question en choisissant la gouvernance éducative. Qu’est-ce que la gouvernance sinon la politique du non gouvernement qui s’en remet uniquement aux logiques de l’économie ? La gouvernance est un choix politique qui subordonne le politique à l’économique.
Nous avons nos propres choix politiques à faire. Alors que les enquêtes internationales montrent que le système éducatif français est celui où le déterminisme social agit le plus sur les inégalités scolaires, alors que la plupart des élèves en difficultés scolaires qui quittent prématurément le système sont des adolescents dévalorisés, n’ayant plus confiance en eux et dans le monde des adultes, des êtres humains en rupture avec le désir d’apprendre, nous n’aurions rien à proposer ? A quand un colloque non pas sur les méthodes éducatives, les expériences alternatives, mais sur les politiques éducatives ? Nos adversaires politiques ont compris que pour changer la société il faut changer l’école et ils le font avec la passion du chercheur de profits !
De quelle école a besoin une société reconvertie à l’écologie politique ? Illitch n’avait-il pas ouvert le débat en préconisant une société sans école ou plutôt une déscolarisation de la société ? Mais comment se fait-il qu’il disait déjà dans les années 70 : « De même que dans une société de classes, le travailleur est aliéné dans son travail, l’homme est aliéné face au savoir lorsque le savoir se transforme en production d’un service et celui qui l’acquiert en un consommateur ». Pour Illitch, l’institution « école » a perverti l’éducation qu’elle a convertie en bien de consommation. Cette confusion entre institution et valeur nous a engagés sur une voie fatale. Cette transformation du savoir en biens de consommation se reflète dans nos comportements de tous les jours, apprendre, réparer, cuisiner, jardiner, fabriquer …toutes ces choses que l’on pourrait faire par soi-même sont devenus des services délégués à des institutions ou supposés devoir être intégrés dans le calcul du PIB lorsqu’ils sont assurés de manière domestique. En désapprenant à « faire » ou « être eux-mêmes », les êtres humains n’accordent plus de valeur qu’à ce qui est fabriqué ou le sera. Un programme scolaire est une marchandise dûment préparé et conditionné. Aujourd’hui, dans la rue on scande que le savoir n’est pas une marchandise, il y a plus de trente ans Illitch l’écrivait. Aujourd’hui où le savoir est en passe d’être considéré par la société néolibérale comme un investissement et comme un capital, nous dénonçons sa marchandisation, nous dénonçons la libéralisation de l’enseignement alors que depuis des décennies l’université est gérée comme une entreprise libérale partenaire de l’activité économique, transformée demain par la Lolf et la LRU en une entreprise néolibérale, en une activité économique à elle toute seule.
Qu’est-ce qui nous a aveuglés jusque là, pour ne pas voir dans nos services publics, venir cette chosification des valeurs en biens de consommation, ne pas voir venir cette logique de marchandisation que nous dénonçons aujourd’hui alors que nous y avons malgré nous participé depuis longtemps. Est-ce notre confiance aveugle dans des institutions que nous avons mythifiées pendant des années parce qu’elles nous semblaient apporter, par la sacro sainte égalité de traitement sanctifiée au stade de démocratie suprême, l’alternative méritocratique, supplantant ainsi un ordre naturel jusque là marqué par l’origine de naissance. Par le système de la scolarité obligatoire universelle, on espérait ne plus faire dépendre la place future dans la société que des mérites de chacun placé au départ avec des chances égales.
Loin d’égaliser les chances, l’école en a assuré la répartition et nous n’avons rien dit pour préserver le sanctuaire.
Martine Alcorta
 

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