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Enfermement, droits et libertés
En 1984, des militantEs découvrent avec stupéfaction qu’en France, dans le sinistre hangar d’Arenc à Marseille, des personnes sont enfermées et privées de liberté pour une durée indeterminée par simple décision administrative. Significativement, le vocabulaire officiel les désigne par une ancienne terminologie : celle du bagne et des « retenus » comme à Cayenne.

Devant le tollé, cette pratique va être codifiée, c’est-à-dire légalisée et légitimée. Pour tenter d’y mettre un vernis humanitaire, l’administration propose une assistance sociale aux retenus pour organiser leur départ. C’est ainsi que la Cimade, sous les sifflets d’une partie du monde associatif, pénètre en rétention. Par l’action déterminée d’une poignée de militantEs, cette mission sociale va devenir juridique : la mise en évidence et la défense des droits des retenuEs. C’est en partie ainsi que moins de la moitié des enferméEs sont expulséEs. Dans les années ’90, lorsque la mission sociale est confiée à l’OMI, la Cimade invente une nouvelle action : l’information. Elle publie des rapports circonstanciés sur les centres d’enfermement pour étrangers, mettant en évidence l’inhumanité de ce qui s’y déroule et y faisant ainsi pénétrer les citoyens.

A partir de 2003, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, le chiffrage des expulsions devient un enjeu politique. Pour augmenter son apparence d’efficacité, et incapable d’augmenter son efficacité réelle (le taux d’expulsé par retenu), l’administration créé de nouveaux centres d’enfermement administratif, de plus en plus grands et inhumains. La Cimade est contrainte de répondre à la demande croissante et de multiplier son offre, en embauchant et formant des intervenantEs en rétention (une centaine à ce jour). Le prix en est une possible dépendance de cette petite structure militante par rapport à un financement public (alors le ministère des Affaires sociales).

Pour baisser ses coûts, améliorer son rendement, et sans doute supprimer le petit désagrément du rapport annuel, l’administration décide de mettre fin à la convention qui la lie à la Cimade et d’utiliser une procédure d’appel d’offre concurentiel. Après une première tentative infructueuse en 2006, un appel d’offre pour une "information juridique" en rétention (sans obligation d’assistance technique donc), a abouti récement (sous réserve de quelques recours non encore jugés).

Le 2 juin 2009, sauf nouvelle évolution, l’intervention citoyenne auprès des étrangers enfermés administrativement va être profondément modifiée. Elle sera régie par les conditions énoncées par l’administration dans l’appel d’offre, non négociables et renouvelables chaque année.
Sans faire de procès d’intention, les structures diverses qui vont maintenant intervenir en rétention (Ordre de Malte, Forum réfugié, ASSFAM, France terre d’asile) n’inscrivent pas leurs actions dans un rapport de force. Ce ne sont pas des structures militantes mais des association dépendantes quasi uniquement de financements publics ; leur contrat n’est qu’annuel ; il est douteux qu’elles parviennent à coordonner leurs actions et à assurer une défense de même ordre dans tous les centres. Enfin l’analyse globale de la rétention en France est quasiment interdite. Quand à la structure qui a, pour le moment, la charge des centres situés dans les DOM-TOM, c’est carrément une émanation de l’UMP : l’intention est claire, l’ordre règne dans les colonies.

Cet affaiblissement des droits des étrangers enfermés, dont nous verrons les pleins effets dans deux ou trois ans, doit être replacé dans une vision plus large.
D’abord l’accroissement récent du nombre d’expulséEs (de 10 000 à 26 000 par an en 10 ans) est due à 80% non pas à l’augmentation du nombre d’enfermés, mais aux retours volontaires de Roumains qui peuvent venir en France sans visa. Cette source sera tarie fin 2011 lorsque la Roumanie intégrera complètement l’espace Shengen.
Ensuite la baisse des droits des étrangers s’inscrit dans le contexte plus vaste des atteintes aux libertés, dont les étrangers ont toujours été les premières victimes avant que les nationaux n’en soient frappés. Nous le voyons encore avec le regroupement familial, que le gouvernement tente de supprimer pour les étrangers et d’en imposer les contraintes aux nationaux (voir les "Amoureux au ban"). Aujourd’hui, déjà, unE FrançaisE qui vit avec unE étrangerE est suspect, interrogé, surveillé, et doit rendre des comptes. Bientôt ceux qui les soutiennent ou les connaissent subiront le même sort. Des événements pas si anciens nous montrent où peuvent amener ces dérives que nous ne dénoncerons jamais trop.

Simon Imbert-Vier
 

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